Apprentissages du langage écrit
Masque et école : est-ce compatible ?
Le Collectif National des Orthophonistes de France vous propose une réflexion :
« Montre- moi les mots que tu dis pour que je puisse les lire. »
Dans cet article nous nous interrogeons sur les effets du port du masque sur les enfants de niveau grande section et CP qui sont dans l’apprentissage de la lecture.
La lecture est un processus qui consiste à parcourir visuellement une série de symboles (lettres, signes de ponctuation et espaces) pour construire du sens.
Lorsque nous lisons (au début de l’apprentissage ou pour un mot non connu), nous utilisons nos yeux pour repérer les lettres, et notre cerveau pour convertir ces signes en syllabes, en mots… puis en phrases…
La lecture et son apprentissage mobilisent de nombreuses compétences cognitives qui nécessitent des capacités sensorielles suffisantes (perceptions auditives et visuelles) pour se développer :
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un minimum de langage oral tant en compréhension qu’en expression,
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de l’attention qui peut être perturbée par toute gêne physique, toute émotion… (attention visuo- spatiale très importante dans la lecture et l’écriture, attention auditive fondamentale pour différencier les sons de la langue et les mots proches),
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des capacités de discrimination auditive et visuelle,
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des fonctions exécutives (comme l’inhibition qui aide l’enfant à distinguer des lettres phonétiquement proches b-d, m-n, b-p),
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des capacités de mémoire (mémoire de travail essentielle pour retenir tous les phonèmes décodés d’une chaîne de lettres dans un mot et ne pas oublier le premier son du mot lorsque l’on atteint le dernier!),
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des capacités de motricité fine, notamment dans l’acte d’écrire.
En situation d’apprentissage, l’enfant a besoin d’un certain confort physique, et d’une sécurité sensorielle et émotionnelle pour être disponible. Il a aussi besoin d’interactions avec l’adulte qui le guide, lui donne confiance et avec ses camarades qui l’encouragent.
Depuis le premier confinement de Mars 2020, les enfants ont été soumis à de nombreuses contraintes liées au contexte sanitaire, alors que leur langue est encore en construction.
Ils se retrouvent donc dans un apprentissage de la lecture qui leur demande un surcroît d’attention, d’efforts puisque le masque entrave leur perception. En effet, pour lire, il est crucial que l’enfant comprenne que la langue est segmentée en mots et en segments sonores plus petits : (les syllabes et les phonèmes) et bien sûr, qu’il possède de bonnes compétences langagières.
Quand l’enseignant masqué lui parle ou lui lit un texte, il est privé d’informations essentielles liées aux expressions faciales de l’adulte. On sait que la perception du langage oral est bimodale et cela très précocement (Kuhl et Meltzoff 1982 /84) et que l’information visuelle complète l’information auditive notamment dans le bruit.
C’est pourquoi les journalistes ne portaient pas de masque, préservant l’intelligibilité de leur parole et maintenant l’attention des téléspectateurs.
« Avoir des journalistes masqués à l’antenne peut être anxiogène et cela pose un problème de son et d’image » (argumentait la présidente de FRANCE TELEVISION Mme Ernotte au Journal du Dimanche).
L’écoute active nécessite de la concentration et de l’attention; le bruit et le stress puisent dans les ressources cognitives qui sont ainsi moins disponibles (Pelle 2018). Les enfants sont ainsi moins enclins aux tâches d’apprentissages.
Si le masque diminue de quelques décibels l’intensité de la parole (3 à 4 dB voire plus selon les études et les types de masques); il prive l’enfant de la lecture labiale qui peut être essentielle pour distinguer certains phonèmes, (Leibold & Buss, 2019) surtout dans le bruit.
Si un certain nombre d’enfants peuvent dépasser cet obstacle et sont suffisamment armés pour intensifier leurs efforts, d’autres sont en plus ou moins grandes difficultés pour des raisons diverses:
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en cas d’audition défectueuse due notamment à des otites,
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en cas de trouble développemental, attentionnel…
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en milieu non francophone, ou peu stimulant; ces enfants seraient à nouveau condamnés à ne rencontrer le Français qu’avec des adultes masqués, si le masque revenait!
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en cas de maîtrise imparfaite de leur parole (inversion de l’ordre des syllabes, confusion des phonèmes, oubli des finales…) ou de leur articulation (zozotement, ‘ch’ confondu avec ‘s’,… ).
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en cas de manque de vocabulaire qui les pénalise pour comprendre et développer leur conscience phonologique (ex: pour différencier pain/main/bain, il faut connaître ces trois mots et cela aide à enrichir la conscience phonémique…); de plus, un retard de syntaxe ne leur permet pas toujours de distinguer tous les mots outils (ex : le/de/ce…) et peuvent les mettre en difficulté pour comprendre et retrouver à l’écrit ce qu’ils ne connaissent pas encore (Delage & Tuller, 2014).
Nous avons encore peu de recul sur les conséquences néfastes de ces mesures sanitaires même si un consensus se dessine au sujet des enfants qui sont moins aptes à entrer dans les apprentissages. Pour ceux-là, particulièrement, nous observons dans nos cabinets, que la lecture labiale dont ils sont malheureusement privés avec un masque, les aide énormément à prendre conscience des syllabes et des phonèmes (Piquard-Kipffer et al., 2021) et il est de notre responsabilité de ne pas les en priver.
Un mot est un objet visuel complexe. Identifier les lettres, qui sont petites, proches les unes des autres dans la séquence du mot demande une grande attention visuelle encore plus au début de l’apprentissage où la lecture passe par l’assemblage (association du son des lettres entre elles) et n’est pas automatisée comme à l’âge adulte. N’avons-nous pas l’impression que notre champ visuel diminue quand nous portons un masque ? Si en plus l’enfant est gêné par la buée de ses lunettes, la lecture est d’autant plus compliquée qu’il commence juste à déchiffrer des lettres, des mots qu’il ne maitrise pas, dans des allers- retours vision de près sur le cahier ou le livre et de loin au tableau.
Quand l’enfant lit : il s’applique, se tend, est incertain, parfois anxieux, il respire plus fort. Or, si l’enfant porte un masque, il se retrouve souvent dans une situation de gêne respiratoire (première plainte des enfants) et d’inconfort (gêne physique, démangeaison, chaleur, humidité, buée sur les lunettes…).
Pour certains, le besoin de respirer est tel qu’ils ne pensent plus qu’à cela, leur attention est alors détournée de l’apprentissage.
Quand l’enfant apprend à écrire, le geste psychomoteur fin, peut aussi l’amener à respirer plus fort, à sortir sa langue, à faire des mouvements buccaux transitoires qui accompagnent son effort (syncinésies), gestes inconfortables avec un masque devant la bouche!
Le problème respiratoire n’est pas qu’une sensation de gêne puisqu’une augmentation inédite de pneumopathies bactériennes (hors COVID19) a eu lieu en 2020/ 21 chez les moins de 15 ans (données publiques Géodes de Santé Publique France sur les taux d’hospitalisation de ces pathologies).
L’enseignant se retrouve en effort également pour distinguer si l’enfant (à la voix plus fluette et aigüe qu’un adulte) lit correctement des sons proches. Ne parlons pas de ses pairs qui le sont plus encore.
Le port du masque de l’enseignant et le port du masque de l’enfant mettent l’enfant en surcharge cognitive, (Legrand et al., 2021) ce qui le fatigue et ne lui permet pas d’être pleinement disponible aux apprentissages et à la mémorisation de ceux-ci. (Lussier et al., 2018. Murray et al. 2016).
Nous avons conscience en orthophonie, de l’importance des aides visuelles, (mouvements labiaux, gestes: méthode Borel-Maisonny ou autres) que certains enseignants utilisent pour aider à différencier des phonèmes proches qui peuvent prêter à confusion (comme b/d, m/n, p/t…).
Le masque est totalement incompatible avec ce support visuel.
Si le port du masque revient un jour pour les enfants et leurs enseignants, chacun devra à nouveau faire un effort d’écoute plus important pour percevoir la parole de l’autre (Sato & Bradley, 2008 ) au moment où il est essentiel qu’élèves et adultes entendent correctement pour travailler la conscience phonologique.
Rappelons que pour apprendre à lire et à écrire dans notre langue alphabétique, il faut pouvoir développer une conscience syllabique et phonémique (Piquard-Kipffer et al., 2021) :
En grande section, des enseignants font des jeux vocaux, accentuent leurs mimiques pour aider à la discrimination des sons. Comment le faire avec un masque ? Comment jouer avec les sons, les rimes quand la parole est entravée par celui-ci ? Comment entrer dans l’univers du plaisir de lire, de l’imaginaire avec un masque qui cache la face et ce qui fait l’humain (nos émotions) ? Nul ne peut ignorer l’importance de l’émotionnel pour accéder au savoir, surtout pour des enfants jeunes.
Selon certains experts, les masques bloquent les fondements de la communication humaine et de l’échange des émotions en plus de risquer d’entraver certains apprentissages (Spitzer M. 2020).
Comme nous pouvons le lire sur le site du ministère de l’éducation nationale : « Aujourd’hui, 20 % des élèves maîtrisent mal les savoirs fondamentaux à la sortie de l’école primaire. C’est la source d’une grande partie des inégalités que nous connaissons dans notre pays. »
Le port du masque à notre sens creuse encore plus ces inégalités.
Nous espérons qu’il ne faudra pas à nouveau infliger cet outil médical et chirurgical quotidiennement aux enfants et à leurs professeurs dans les moments cruciaux des apprentissages fondamentaux mais aussi dans les séquences de poésie, de sport, de chant, langues étrangères, etc, où le corps doit s’exprimer dans son intégralité.