Langage oral
Le port du masque a-t-il eu des conséquences sur le développement du langage oral des enfants ?
Le Collectif National des Orthophonistes de France vous invite à comprendre l’impact du port du masque sur le développement du langage oral chez les enfants.
Le langage oral se développe grâce à l’envie et au plaisir innés de communiquer avec l’autre. Il repose sur certaines compétences socles essentielles dont le regard, l’écoute, l’attention, l’imitation et s’exerce par le biais de la parole. Des interactions se créent et le bébé entre dans la communication et le langage par de multiples canaux qui se complètent.
Pour une communication optimale, l’être humain associe naturellement au langage oral d’autres paramètres non verbaux comme les gestes, et les émotions via les mimiques.
Avec la pandémie COVID-19 est arrivé le port du masque qui cache les 2/3 du visage. Dans les crèches et les écoles, les enfants de 0 à 6 ans ont côtoyé des professionnels masqués durant plusieurs mois. Les enfants de plus de 6 ans ont eu l’obligation de porter un masque eux-aussi. Ce dernier perturbe à la fois les paramètres verbaux (langage oral, parole) et les paramètres non verbaux (mimiques et émotions) de la communication (Giovanelli et al. 2021).
Le port du masque gêne l’intelligibilité du langage en modifiant la qualité et le niveau sonore de la parole (Remacle et Bernardoni 2021) et en empêchant la lecture labiale. Le canal audio-visuel étant perturbé, la transmission correcte des messages est entravée. Ceci entraîne des conséquences sur les expériences relationnelles sociales et affectives entre les enfants et les professionnels.
Pendant la pandémie, la limitation des interactions sociales a effrayé certains parents : comment créer une relation avec autrui sans voir son visage ? Quelle sera l’évolution de ces bébés qui voient uniquement bouger la bouche de leurs proches sur des moments limités ? Dans de nombreuses crèches, des professionnels ont remarqué un changement de comportement des bébés face au masque et l’étude de Snyder et al. (2021) confirme qu’en raison de la pandémie de COVID-19, la manière d’interagir des nourrissons face au monde extérieur a été modifiée.
Le visage fournit un langage universel pour la communication. Dès leur naissance, les bébés montrent une préférence pour regarder les visages humains (Spitzer, 2020). Ils focalisent leur attention sur la bouche qui transmet des informations cruciales par le sourire notamment. En effet, le sourire est essentiel dans le rapport qui lie les enfants à autrui. Ainsi, dans une étude de Tcherkassof et al, (2022), les professionnels notent qu’il y a beaucoup moins de production de babil et de mots avec le masque dans des situations d’imitation et de répétition chez les bébés. Le masque crée une barrière qui filtre et freine les échanges : il réduit l’interactivité, la réceptivité, la participation. Les enfants sont peu à l’écoute et ils répondent moins. Le risque est que l’adulte, n’ayant plus de réponses à ses sollicitations, en produise également moins. Les professionnels de la petite enfance ont également remarqué que les enfants étaient moins enclins à imiter donc à expérimenter des séquences articulatoires, verbales ou motrices lorsque la bouche est dissimulée (Thollon Behar, 2021a). Cela pourrait mener à un désinvestissement de la sphère orale par diminution des occasions d’imiter, d’essayer, de ressentir (Legrand et al., 2021).
Si l’enfant prend moins de plaisir à imiter, il entraîne moins sa boucle audio-phonatoire et par conséquent, ses compétences langagières. L’appauvrissement des stimuli langagiers pourrait ainsi mener à des difficultés dans le développement de la phonologie et de la morphosyntaxe (Delage et Tuller, 2014).
Par ailleurs, le masque perturbe les données acoustiques.
Pour une réception efficiente, il faut un niveau correct d’intelligibilité. Cela permet un enrichissement phonétique, lexical et syntaxique (Giovanelli et al., 2021). Or, le masque perturbe la perception auditive de la parole en milieu collectif, car il fait baisser le volume du signal sonore. Selon l’étude de Charney et al. (2021), les masques feraient perdre entre 3 et 12 dB.
Le masque altère particulièrement les fréquences conversationnelles, c’est-à-dire celles allant de 2000 à 4000 Hz (Goldin et al.). L’étude de Muzzi et al. (2021) souligne les difficultés significatives de communication verbale dues aux masques chirurgicaux qui engendrent une perte d’intelligibilité de la parole allant jusqu’à 23,3% dans les environnements bruyants. C’est notamment le cas dans les salles de classe (Sato et Bradley, 2008).
Les interlocuteurs ont naturellement développé des compensations dans un environnement bruyant pour améliorer leur compréhension en parlant plus lentement, plus fort, en se rapprochant ou en baissant leur masque (Giovanelli et al. 2021). En effet, en raison de l’effet Lombard (qui stipule que l’intensité de la parole est corrélée à l’augmentation du bruit de fond), un locuteur adulte masqué devrait augmenter de 5 à 10 dB son intensité vocale afin de se faire comprendre. Le fait de parler plus fort vient encore s’ajouter au bruit ambiant (Leibold et Buss, 2019). Le masque gênerait également le repérage du locuteur : les enfants ne savent pas qui parle (Tcherkassof et al. 2022). L’effort d’écoute est alors plus important (Lee et al., 2022) et moins de ressources cognitives sont disponibles pour encoder la parole en mémoire (Truong et al.,2021).
Le port du masque altère la perception visuelle de la parole et les expressions du visage.
La perception auditive de la parole doit être complétée, surtout en milieu bruyant, par la perception visuelle (Leibold et Buss, 2019)
De la naissance à environ 8 mois, les bébés regardent la bouche de leur mère afin de décomposer le flux sonore en phonèmes pour apprendre leur langue maternelle.
Dans des circonstances où la compréhension du son est altérée, comme en milieu bruyant, l’adulte a tendance à regarder de près la bouche de ses interlocuteurs, tout comme les personnes sourdes utilisent la lecture labiale pour comprendre la parole. Sumby et Pollack (1954) sont parmi les premiers à avoir montré que la lecture sur les lèvres améliore la compréhension du son dans un environnement bruyant. Or, le masque, limite la perception des gestes articulatoires de la parole (Charney et al., 2021). L’étude de Giovanelli and al conclut que le port du masque entrave l’efficacité d’une conversation et dans le bruit, cela serait équivalent à ne pas voir du tout son interlocuteur.
Le port du masque entrave également la discrimination des sons proches, notamment chez les enfants les plus fragiles qui n’ont plus accès à la lecture labiale (Piquard-Kipffer et al.,2021). Par exemple, des différences fines sur le plan auditif comme « pain » et « bain » pourraient ne pas être perçues. Par ailleurs, une étude montre que les enfants comprennent moins bien le langage et les consignes qui leur sont adressées quand les professionnels portent le masque, car ils ne peuvent pas lire les expressions émotionnelles : ils font répéter, ont un regard interrogatif, font des confusions dans les mots ou les prénoms.
La perte de repères visuels due au port du masque pourrait influencer l’acquisition du langage même chez les jeunes enfants sans problèmes de développement (Charney et al., 2021).
Certains professionnels de l’enfance (orthophonistes, assistantes maternelles) ont ressenti des difficultés à suivre les directives sanitaires et ont envisagé la mise en place de masques avec une pièce transparente permettant d’observer les mouvements labiaux, mais une étude nuance son efficacité en montrant qu’il pourrait créer des confusions visuelles (Singh et al., 2021). En outre, les reflets et la buée constitueraient une gêne.
En entravant l’intégrité du canal auditif et visuel de communication, le masque gêne la production et la répétition des sons, la compréhension des messages, mais aussi l’attention et l’engagement dans les interactions. De surcroît, il entrave l’imitation nécessaires à l’apprentissage du langage chez les tout petits comme les plus grands. Le masque a un impact fort sur la période de la petite enfance où les bases de la communication et du langage se mettent en place.
Les professionnels de la santé, et plus particulièrement les orthophonistes dont une des missions est la prévention des retards de développement du langage, réfléchissent à comment diminuer au maximum l’impact des contraintes sanitaires sur le développement du langage oral chez les enfants. A la lumière des données disponibles actuellement, le port du masque par l’adulte comme par l’enfant semble entraver d’une manière trop importante le développement langagier pour être maintenu, chez les enfants tout-venants comme ceux porteurs de handicap.
Avec le masque, la communication s’appauvrit et avec elle, tout ce que l’enfant construit par l’intermédiaire de l’adulte : le langage, la compréhension de son environnement, la structuration de sa pensée (Tcherkassof et al, 2022). Le déficit en attention et en interaction est donc préoccupant pour son développement général, au-delà de la communication et du langage.